ETAPES # 161 COVER / OCTOBRE 08
INTERVIEW SUR ETAPES.COM
Comment êtes-vous devenue illustratrice, quelle a été votre formation ? votre parcours ?
J’ai commencé à étudier les arts plastiques et appliqués à l’université de Toulouse durant de longues années. J’ai toujours été en priorité attirée par le dessin, et à ce titre-là je me régalai du conservatisme de notre professeur de dessin académique.
C’est pourtant à ce moment-là que je m’essayai péniblement à la peinture, puis à la photographie, peut-être à cause de ma faible capacité de résistance aux effets de mode et à la logique universitaire. Ma pratique du dessin se résumait à l’époque à réaliser des centaines de croquis d’animaux copulant sur de petits bouts de papier (éléphants de mer, veaux de mer, chiens de mer, etc. …).
Ce n’est que plus tard que j’ai réellement retrouvé mes premières amours, en découvrant le monde des fanzineux. Ce qui m’amena à une révélation pour le moins troublante : Et si dessiner des Mickeys n’était finalement pas si honteux ? Je me mis alors à réaliser des affiches et autres pochettes pour mon groupe de l’époque, ce qui m’amena à poser les premières bases de ce petit monde graphique. S’ensuivirent diverses sollicitations. C’était il y a deux ans et, outre mes premières petites expositions, les Requins Marteaux me proposèrent de faire un livre chez eux, sur lequel je travaille (enfin !) en ce moment. Je poursuis donc aujourd’hui dans cette voie-là avec bonheur.
Quels sont les illustrateurs qui vous fascinent ?
Et qu¹est ce qui vous plait dans le travail de chacun d¹entre eux ?
J’avoue que dans un premier temps ma culture visuelle s’est essentiellement alimentée de peinture. Mes amours de petite fille étaient Dali et Magritte (surtout !), et je fus prise plus tard d’un amour honteux pour Jacques-Louis David, certainement pour le caractère ridiculement pompier de ses tableaux.
J’aime aujourd’hui énormément les travaux de Petra Mrzyk et Jean-François Moriceau, pour la simplicité, l’extravagance et l’impressionnant foisonnement de leur œuvre. J’aime les dessins de Winshluss, pour leur brutalité. J’aime les illustrations d’Ulysse Aldrovandi (De Monstrorum Historia, un recueil d’aberrations plus ou moins naturelles), le Codex Seraphinianus (une sorte d’encyclopédie extaterrestre), les collages de Thomas Bernard, les travaux de Fabio Viscogliosi, les dessins de Llcooljo. Le tout essentiellement pour les mêmes raisons : je crois que j’aime la bizarrerie.
Avez-vous toujours dessiné des chiens ou autres animaux ? D’où vous vient cet attrait pour le genre « bestiaire » ?
Comment tout ce petit monde a t-il évolué ? De dessin en dessin d¹année en année ? Dernièrement, vous semblez dresser des portraits de famille ? ( pas sans rappeler ceux du Muppet Show au passage) Savez vous ce qu¹ils se racontent entre eux ?
Même si cela manque certainement d’originalité, je dois admettre que petite, je préférais les chevaux. Je les animais au travers de petites bande-dessinées qui ont du heureusement terminer à la poubelle.
Ma passion pour les chiens ne s’est révélée que plus tard, lorsque mes parents, las de m’offrir des leurres en plastique, ont finalement cédé et ont adopté un Pinscher nain. S’ensuivit une forme de communion psychique avec l’animal que j’aurais bien de la peine à vous expliquer ici.
J’ai par la suite découvert, grâce à Internet, toute une communauté injustement méconnue dont le principal passe-temps consiste à déguiser les animaux en maquereaux ou en sosies d’Elvis. Mon sang ne fit qu’un tour.
Après avoir passé de longues heures à récolter les images de tous les costumes pour chiens existants, je me décidai à les intégrer dans mes dessins. Mon petit monde évolua donc au fil des modes vestimentaires canines et de mes découvertes d’animaux moches, jusqu’à aboutir aujourd’hui à une espèce de micmac de personnages hybrides, mais toujours somptueusement vêtus.
J’ai effectivement dressé ces derniers temps quelques « portraits de famille », ayant été toujours fascinée par les photographies de groupe d’écoliers, de sportifs ou de mini-miss, pour leur caractère rigide certainement. Je crois que l’idée de départ était de reconstituer une forme de paysage uniquement composé de têtes, semblable (je sais, la référence est pompeuse) au Portement de croix de Jérôme Bosch ou aux Masques de James Ensor. Je n’avais pas pensé aux Muppets, mais effectivement la référence me semble tout à fait valide ! On me parle aussi régulièrement des Moomin ou des Barbapapas, influences que je ne renie pas non plus.
Quant à savoir ce que ces personnages se racontent, encore faudrait-il qu’ils soient dotés de bouches !…
Et vos techniques ? Quels outils utilisez-vous ? Qu¹est ce qui vous plait dans l’utilisation de ces derniers ?
Je travaillais jusqu’il y a peu au stylo et crayon noir, les dessins étant ensuite colorisés à l’ordinateur. Mais j’ai récemment découvert les crayons de couleur, ce qui présente l’avantage notoire de permettre l’utilisation de couleurs fluo.
Les raisons de cette usage exclusif de techniques dites « sèches » sont à trouver dans mon mode de travail : mon lit faisant office de bureau, je me suis résolue à dire adieu à la peinture.
Est-ce que vous pourriez nous éclairer sur quelques motifs récurrents dans votre travail ? ( la présence de marionnettes, les grands yeux ronds, les museaux en hamburger, hotdog, petit monstre ; les couvre-chefs bizarroïdes : poule, nid d¹oiseau, maisons)
Comment émergent ces personnages loufoques ?
Il s’agissait au départ de petites poupées rondes, muettes et relativement minimalistes, qui pour moi se rapprochaient assez des poupées de doigts. J’avoue que la récurrence de questions se rapportant à leur absence de bouches et de nez (Traumatisme remontant à l’enfance ? Inadaptation sociale ? ) a eu raison de leur simplicité première.
Elles se sont donc peu à peu parées de divers accessoires, à l’instar de ces petites filles boulimiques de boucles d’oreilles en forme de têtes de mort.
Quant à la reprise régulière de certains éléments tels que les saucisses ou certaines abréviations, ils proviennent souvent de plaisanteries, de jeux de mots ou d’autres images (les marionnettes pour exemple proviennent d’une pochette de Chet Baker & Art Pepper), qui se trouvent érigés au rang de symboles, plus ou moins obscurs. Peut-être s’agit-il là d’une forme d’alliance aberrante entre ma nouvelle marotte, l’iconographie alchimique (toujours pour son caractère profondément bizarre) et ma passion profonde pour la mode bon marché ?
Êtes-vous passée par le Street art ?
C’est une question que l’on me pose souvent. Mis à part quelques photocopies de photos collées il y a bien longtemps lors de soirées passablement éthyliques, je n’ai jamais osé aller plus loin dans ce domaine-là. Par peur du gendarme certainement, ma mère m’ayant un jour promis qu’elle ne viendrait pas me chercher au poste.
Vous avez récemment peint le torse de Philippe Katerine ? Comment l’avez-vous rencontré ? Quelle était alors sa requête et comment avez vous répondu à cette dernière ? Etait-ce la première fois que vous faisiez du Body Painting ? Pensez vous renouveler l¹expérience et quel intérêt avez-vous trouvé à travailler sur ce support particulier ?
J’ai rencontré Philippe Katerine et son orchestre par le biais du groupe de musique dont lequel je chantais (faux) à l’époque. Ma première expérience en tant que peintre sur corps s’est faite un peu par hasard. Après avoir fait un caprice monstrueux mais efficace pour les accompagner à la Star Academy, j’ai eu le bonheur de me rendre vaguement utile en réalisant son costume de scène, qui représentait grossièrement un coït de lamas. Ce qui a du faire suer les cadreurs de l’émission à grosses gouttes, et m’a permis de récolter les félicitations de ma maman et de Mireille Mathieu.
Il m’a par la suite demandé de réaliser deux autres peintures, pour une couverture des Inrockuptibles et pour leur fantastique concert au Zénith de Paris. Même si j’adore tout ce qui se rapporte aux poils, j’avoue que je préfère le papier.
Mais si on me le demandait, je reprendrais du service avec plaisir.
Quels sont vos projets en cours ?
Et vos aspirations ?
L’un de mes projets essentiels pour l’instant est d’achever cette fameuse bande-dessinée pour les Requins Marteaux, qui s’intitulera « Papatte », et dont Philippe Katerine a écrit l’histoire. Si tout se passe bien, et si je ne suis pas trop indisciplinée, il devrait paraître en avril 2009. Cela me permettra ainsi de réaliser l’un de mes rêves de fillette, à l’époque où je cherchais mon chemin en copiant honteusement les comics d’Edika.
Pour le reste, je souhaite devenir une machine à dessiner, en attendant de trouver des assistants qui feront le travail à ma place. Plus sérieusement, je rêve parfois ces derniers temps de travailler sur un dessin animé, et puis tout simplement de continuer à exposer, à m’amuser et à dessiner …
Interview par Caroline Bouige